Le musée de l’Homme à Paris a organisé en 2025 une belle et instructive exposition consacrée au wax, ce tissu aux innombrables motifs qu’on identifie au continent africain. Un objet dont l’histoire est étroitement liée à la colonisation et aux migrations, thème de la saison 2025 du musée parisien et sujet important, surtout en ces temps où elles sont tellement diabolisées. Découvrez avec moi tous les dessous du wax.
Qui dit wax dit explosion de couleurs souvent vives et univers graphiques reconnaissables mais variés, du simple motif géométrique aux représentations de plantes et d’animaux ou même de personnalités. Depuis mon installation dans le 18e arrondissement parisien dans les années 1995, j’ai souvent été attirée et intriguée par ces tissus chatoyants dont certains commerces du quartier de Château Rouge regorgent. Et ces dernières années, le nombre de boutiques spécialisées a augmenté, le wax étant devenu très tendance.
L’exposition du musée de l’Homme exprime bien le foisonnement du wax, dans les deux espaces distincts qui lui sont consacrés : l’un plutôt centré sur ses utilisations dans la sphère artistique contemporaine, et l’autre, sur l’histoire et l’évolution de cette étoffe. Une histoire très singulière.
Lors de la conférence inaugurale de l’exposition Wax en février 2025, Manuel Valentin, responsable scientifique des collections d’anthropologie culturelle au musée de l’Homme et co-commissaire de l’exposition, a expliqué que le wax était un objet commercial qui s’était transformé en objet culturel. « C’est un exemple concret, pour montrer que les migrations entraînent aussi des déplacements d’objets, d’idées, des questions économiques, commerciales, culturelles. Le wax est un objet actuel qui a une longue histoire. Il est intéressant de voir tous ces méandres liés à l’histoire qui aboutissent à ce qu’on appelle le tissu wax », a-t-il souligné.
Imiter les batiks indonésiens
Inspiré du batik, un tissu d’origine indonésienne qui était lui-même un produit multiculturel, le wax a été créé par les Européens mais n’a pratiquement jamais été utilisé par eux, a résumé l’anthropologue. Tissu très long et très couteux à fabriquer, le batik était porteur de sens, ses couleurs, ses motifs et ses symboles avaient une signification particulière. « L’attribution de sens du batik, on le retrouve dans le wax », a souligné Manuel Valentin.
Le wax voit le jour au XIXe siècle : des entrepreneurs hollandais et anglais cherchent alors à imiter les batiks pour les vendre aux Indonésiens. Depuis1826, l’archipel indonésien est une colonie hollandaise et porte le nom d’Indes orientales néerlandaises. Mais la Compagnie néerlandaise des Indes orientales opérait déjà dans l’archipel depuis 1603, et a contribué fortement à l’enrichissement de la Hollande grâce au commerce dans toute l’Asie, avant de faire faillite en 1800.
Les batiks traditionnels en coton et soie accompagnent les familles indonésiennes dans leur vie de tous les jours et lors de certains rituels. Ils sont teints et ornés de manière artisanale, en utilisant des bains de cire chaude ou selon la technique ancestrale de l’île de Java, teinture de réserve à la cire d’abeille chaude (d’où le terme wax, cire en anglais). En copiant les batiks avec des techniques industrielles plus rapides et moins coûteuses, des Européens créent un tissu de coton imprimé sur les deux faces, utilisant la cire pour délimiter des plages d’impression de motifs polychromes qui sont répétés. Mais ces imitations n’ont pas de succès dans l’archipel indonésien : « l’effet crépitant et bouillonnant des imitations de batiks n’était pas du goût des Indonésiens, qui le considéraient comme un signe de qualité inférieure » et le trouvaient trop onéreux, estime la chercheuse Helen Elands dans un article écrit en 2020.
Ce seraient des soldats originaires d’une autre colonie néerlandaise, la Côte de l’Or néerlandaise (Gold Coast, l’actuel Ghana), enrôlés par les Hollandais entre 1831 et 1872 pour défendre Java, qui vont changer la donne. En rentrant dans leur pays, les Belanda Hitam (Hollandais noirs, en indonésien) auraient emporté quelques coupons de ce tissu. Certains chercheurs pensent que c’est une légende, arguant notamment que ces soldats n’avaient pas suffisamment d’argent pour acheter ces tissus couteux.
Toujours est-il que les coupons de wax sont appréciés et se vendent bien dans cette région d’Afrique. Peut-être parce qu’ils utilisent l’indigo qui y est déjà usité, qu’ils présentent des similitudes avec les tissus traditionnels tie-and-dye d’Afrique de l’Ouest. Les petites craquelures et imperfections que les Indonésiens n’ont pas aimées dans ces imitations du batik sont appréciées de populations ouest-africaines, ces anomalies faisant de chaque coupon une pièce unique. L’engouement de ces populations pour le nouveau tissu, vers la fin du XIXe siècle, incite des entrepreneurs européens à « réorienter leur production vers leurs colonies ouest-africaines », peut-on lire dans l’exposition.
La fin des monnaies traditionnelles
La fin du XIXe siècle marque aussi la fin des monnaies traditionnelles, dont les cauris, ces petits coquillages que l’on a également tendance à rattacher à l’Afrique. Lors de l’exposition Une autre histoire du monde au Mucem en 2023-2024, j’ai appris que ces petites porcelaines venaient en fait de la mer des Maldives. Des marchands arabes les auraient introduits en Afrique du Nord vers le XIe siècle. Utilisés en grandes quantités pour lester les bateaux européens qui fréquentent cette région, les coquillages seraient ainsi parvenus jusqu’aux grand ports d’Europe. « Mis en tonneaux, ils reprennent la mer dans le ventre des navires négriers jusqu’aux côtes de l’Afrique de l’Ouest, où ils sont utilisés comme monnaie dans la traite transatlantique pour l’achat de captifs déportés comme esclaves jusqu’aux plantations des colonies d’Amérique », écrit Francis Dupuy, de l’université Toulouse-2-Jean-Jaurès, dans le catalogue de l’exposition.
Au XVIIIe siècle, les Européens pratiquent assidument la traite d’esclaves et les cauris affluent sur les côtes africaines. « De là, les cauris s’infiltrent dans une aire d’extension toujours plus vaste en Afrique subsaharienne. Ce faisant, ils ‘s’africanisent’ et vivent une deuxième conversion : devenant une monnaie ‘traditionnelle’, ils servent à payer tributs, taxes, impôts et entrent dans le paiement des compensations matrimoniales ou mortuaires. Leur origine lointaine et nimbée de mystère leur confère leur dimension précieuse, et l’impossibilité de contrefaçon, leur capacité monétaire », explique Francis Dupuy. Par la suite, les cauris seront utilisés dans de nombreuses régions d’Afrique pour confectionner des parures sacrées ou laïques, et sont devenus aujourd’hui une « expression de l’ ‘africanité’ ».
Mais revenons-en au wax. C’est principalement grâce à Ebenezer Brown Fleming (1858-1912), un marchand écossais, que le tissu conquiert les élites africaines vers 1890.
Talent commercial et compétences techniques
Fleming importe alors en Côte de l’Or du wax produit en Hollande. Selon Helen Elands, auteur de l’ouvrage Brown Fleming and the Haarlem Collection : the European production of wax prints for West Africa (Silvana Editoriale, 2024), Ebenezer Brown Fleming aurait enregistré environ 250 modèles entre 1895 et 1912. Dirigeant son entreprise depuis Glasgow, le marchand a des clients grossistes en Afrique de l’Ouest, qui travaillent eux-mêmes avec un réseau de commerçants locaux, principalement des femmes. Les grossistes font remonter des informations au marchand écossais, lui indiquant notamment quels motifs sont les plus appréciés.
Si le talent commercial du marchand écossais est incontestable, il s’appuie sur les compétences techniques de l’entrepreneur belge Jean-Baptiste Prévinaire, qui a créé et amélioré la technique de production. « En 1819, il fonde une entreprise dans la région de Bruxelles. Mais lorsque la Belgique devient indépendante du Royaume-Uni des Pays-Bas (1830), le roi Guillaume Ier le persuade d’installer une usine à Haarlem en 1835, où il met au point « La Javanaise », une machine à imprimer capable d’appliquer une réserve chaude de résine et de cire sur chaque face de l’étoffe. Les couleurs supplémentaires étaient appliquées à la main à l’aide de blocs de bois en guise de tampons », nous apprend Helen Elands.
« La Javanaise », qu’il met au point vers 1850 et qui imprime sur les deux faces du tissu, est en fait une version améliorée de la perrotine inventée par le Français Louis-Jérôme Perrot dans les années 1830. La technique sera encore améliorée vers 1883 avec l’usage de résine au lieu de cire et l’introduction de rouleaux pour remplacer les blocs à imprimer. Ce procédé technique est très important car il « contribue à l’éclat des couleurs imprimées et permet de proposer un choix étendu de couleurs appliquées à un même motif. » C’est la répétition des motifs et la juxtaposition des couleurs, produisant des contrastes, qui donnent cette impression de mouvement qu’on perçoit souvent en regardant le wax.
Lors de la manifestation Expression(s) décoloniale(s) au musée d’Histoire de Nantes en 2021, l’historien ivoirien Gildas Bi Kakou, invité à « discuter » avec les collections du musée, avait rédigé un cartel sur les textiles utilisés dans son pays autrefois. « En Côte d’Ivoire, jusqu’au XVIIIe siècle, les classes sociales fortunées se vêtent d’étoffes locales (les kamandjê des zones Gouro, les kôdê de l’espace Dida, les gba de Kong…). (…) Avec le commerce négrier, la floraison d’articles européens engendre la démocratisation des tissus », a-t-il écrit. L’historien soulignait que « l’accoutumance des Ouest-Africains aux tissus en provenance d’Europe se renforce avec l’importation » de tissus d’origine hollandaise.
Objets de prestige
Avec l’essor des techniques industrielles, l’usage grandissant des navires à moteur, le développement du chemin de fer et la popularisation de la machine à coudre, le tissu va devenir populaire dans toute l’Afrique centrale et de l’Ouest. L’entreprise néerlandaise Van Vlissingen & Co., fondée en 1846 par Pieter Fentener van Vlissingen, a aussi joué un rôle important dans l’adoption du nouveau tissu en Afrique. Ce serait grâce à son oncle, installé à Java, que Pieter Fentener van Vlissingen aurait découvert le batik et se serait lancé dans la production du wax. L’entreprise est rebaptisée Vlisco en 1927 et est un acteur central du marché du wax aujourd’hui encore.
Le wax, fabriqué alors en Belgique, en Hollande, en Angleterre et en Suisse, est considéré comme un objet de prestige dans ces régions africaines. « Ce sont en effet les élites locales au pouvoir qui achètent ce nouveau tissu, encore rare et venant de très loin. À cette époque, elles seules peuvent se permettre d’acquérir ce produit importé qui se démarque des textiles habituels et souligne ainsi leur prospérité et leur rang social élevé », peut-on lire dans l’exposition. « A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, il y a des élites africaines qui portaient ces premiers wax. On voit que ces batiks industriels étaient l’apanage de populations qui avaient les moyens de se les offrir. Très tôt, elles ont été adoptées par ces élites », confirme Soloba Diakité, historienne de l’art, spécialiste du patrimoine textile africain, co-comissaire de l’exposition.
Si sa rareté et son prix semblent déterminants, ce sont aussi ses motifs qui vont faire le succès de cette étoffe. « Les motifs des premiers wax, dessinés en Europe, prennent leurs sources dans les répertoires iconographiques des mondes asiatiques, européens et africains, ainsi que dans l’univers végétal et animalier », est-il expliqué dans l’exposition.
Cette grande diversité y est d’ailleurs illustrée, des motifs végétaux rappelant les batiks indonésiens aux animaux domestiques, en passant par des objets rituels, des ustensiles modernes, des proverbes ou des personnalités politiques. Le wax a aussi ses classiques : certains motifs, plus que centenaires, sont toujours populaires, tel le motif Alphabet, commercialisé initialement par Ebenezer Brown Fleming en 1902, repris ensuite par Vlisco. Il a été plébiscité par des personnes qui voulaient signifier qu’elles étaient instruites.
Motifs toujours populaires
Selon Helen Elands, « le travail des missionnaires en Afrique constitue une autre source de motifs. Ils ne se préoccupaient pas seulement des besoins spirituels de la population, mais aussi de son bien-être physique. L’habillement a retenu leur attention, en particulier la promotion d’un style occidental plus « décent », stimulée par les cours de couture des différentes sociétés missionnaires. Plusieurs modèles semblent avoir été directement influencés par leurs idées », dont ce modèle Alphabet. Parmi les autres motifs centenaires encore utilisés aujourd’hui, il y a l’Œil et la Main.
Autre modèle historique toujours très populaire aujourd’hui : celui appelé Coquillage ou Régime de bananes, d’après un motif d’Ebenezer Brown Fleming de 1895. Il « illustre la manière dont les dessinateurs européens convertissent un élément iconographique des batiks indonésiens en une version « africanisée». Inspiré des ailes de Garuda, l’oiseau sacré de Vishnu, le motif a été stylisé pour correspondre au goût esthétique supposé des populations d’Afrique occidentale ». Il porte différentes appellations : Escargot hors de sa coquille au Togo, Coquillage en Côte d’Ivoire, Régime de bananes au Ghana.
« Le lien avec le wax est très différent en fonction de là où l’on se situe sur le continent (africain). Le rapport au wax n’est pas homogène à l’échelle de l’Afrique. Au Kenya, on ne porte pas de wax dans la vie quotidienne. C’est plutôt un tissu qu’on va choisir lors d’événements prestigieux et importants. Par exemple, le motif connu comme L’oeil de ma rivale en Afrique de l’Ouest prend une autre signification au Kenya, il est lié à la valorisation, à la mise en valeur de soi-même », estime Cindy Olohou, historienne de l’art, responsable de la collection du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) d’Île-de-France et co-commissaire de l’exposition.
Le rôle prépondérant des femmes
La première Guerre mondiale affecte considérablement le commerce du wax, plusieurs entreprises européennes font faillite, coupées de leurs marchés. Après la Seconde Guerre mondiale, avec la hausse du pouvoir d’achat des populations africaines, le marché du wax retrouve des couleurs.
Les pays du continent qui deviennent indépendants, ne voulant pas dépendre des importations européennes, préfèrent que le tissu soit fabriqué sur place. C’est dans la seconde moitié du XXe siècle que le wax commence à être produit en Afrique, notamment au Nigeria, au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire. Créée en 1951, la société Sotiba Simpafric est une pionnière de l’industrie du wax au Sénégal. « L’usine imprimait ses propres motifs, créés par ses dessinateurs, et commercialisait du wax ainsi que du fancy au Sénégal, au Niger et jusqu’au Burkina Faso », apprend-on dans l’exposition.
Je comprends au passage que le terme « pagne », souvent utilisé quand on parle de wax, désigne à la fois le vêtement féminin et le coupon de tissu.
La base d’un pagne traditionnel est un tissu rectangulaire mesurant 190 x 122 cm, mais pour une tenue complète, avec un foulard, il faut compter 6 yards de tissu, soit environ 5,48m. Et je prends conscience que le wax englobe différentes qualités de tissus, du fancy, coton bon marché qui imite le wax (une seule face imprimée), au super-wax de qualité supérieure. Sans oublier le glitter glam et ses reflets brillants.
Acheteuses et utilisatrices principales de cette étoffe, prescriptrices également depuis les débuts du wax, les femmes ont joué un rôle prépondérant dans la diffusion du wax : « Elles ont été les premières à donner des noms porteurs de sens, et souvent humoristiques, aux créations des dessinateurs européens enregistrées par un numéro d’inventaire. Loin d’être une anecdote, ce geste témoigne de la manière dont les sociétés africaines se sont approprié ce textile venu d’ailleurs et l’ont rendu « africain » : associer un nom au motif d’une étoffe est en effet une pratique répandue dans nombre de cultures africaines », apprend-on au Musée de l’Homme. Ce sont également les femmes qui assurent la transmission du wax dans les familles, généralement de mère en fille à l’occasion des mariages, ce qui fait qu’on qualifie la culture du wax de matrimoine.
Les "Nanas Benz"
C’est vers le début des années 1960 qu’entrent en scène au Togo celles qu’on a baptisées les « Nanas Benz », ces vendeuses et distributrices sur les marchés togolais qui vont faire fortune, reconnaissable notamment à leurs voitures allemandes. Elles avaient le monopole de certains textiles et se partageaient le marché. Ces femmes d’affaires influentes, jusque dans la sphère politique, auront la haute main sur le commerce du wax jusque dans les années 1990 et vont contribuer à rendre ce tissu populaire. La dernière des « Nanas Benz », Dédé Rose Crépy, est morte en 2023.
A la fin des quotas d’importation textile de l’OMC en 2004, les fabricants africains et européens de wax sont encore plus exposés à la concurrence indienne, pakistanaise et surtout chinoise, qui a commencé dès les années 1990 en cassant les prix. Aujourd’hui Uniwax, filiale ivoirienne de la société hollandaise Vlisco, créée en 1968, est une des rares sociétés à produire localement du wax. Elle en exporte dans les pays d’Afrique de l’Ouest et du centre sous les marques Uniwax et Woodin. Après avoir subi les ravages des contrefaçons asiatiques, Uniwax a misé sur la créativité et la vente en ligne.
L’ancienne société britannique ABC, rachetée en 2005 par un groupe chinois, a transféré sa production au Ghana en 2005 à la société Akosombo Industrial Company Ltd, qui aurait été elle-même reprise par le gouvernement ghanéen en 2018. La société sénégalaise Sotiba Simpafric a fermé en 2017. En Europe, il semble que Vlisco, qui aurait 350 000 imprimés de wax dans ses archives, et la maison Julius Holland produisent encore leurs tissus luxueux aux Pays-Bas. Mais la plus grande part du wax commercialisé dans le monde vient aujourd’hui… d’Asie.
Famille, croyances, politique
Dans les années 2010, le tissu emblématique envahit les podiums de la haute couture européenne, soulevant des polémiques sur l’appropriation culturelle et l’origine coloniale de l’étoffe. Certains créateurs de mode africains se refusent d’ailleurs à l’utiliser. On ne peut nier cependant que dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, le wax fait partie de la vie familiale et s’est imposée dans de nombreuses sphères.
L’exposition du musée de l’Homme détaille d’ailleurs ces différents champs d’utilisation, avec de nombreux exemples à l’appui : la sphère familiale et conjugale, bien sûr, mais aussi le domaine religieux, celui des croyances et même le champ politique.
Par exemple en Côte d’ivoire, le motif Fleur de mariage, aussi nommé Rolls Royce, « symbolise le bonheur conjugal et est souvent offert aux futurs époux. Posséder ou porter cet imprimé assure réussite et richesse au propriétaire ou porteur du tissu, et à sa famille », peut-on lire à côté de deux tenues qui ont été portées par des fiancés en région parisienne.
Certaines familles, notamment du Congo, choisissent pour le mariage un wax spécifique qui sera porté par tous leurs membres, éventuellement dans des couleurs différentes.
Certaines familles, notamment du Congo, choisissent pour le mariage un wax spécifique qui sera porté par tous leurs membres, éventuellement dans des couleurs différentes. Le motif baptisé Famille rend hommage au rôle majeur de la femme dans la cellule familiale : une poule entourée de ses poussins y trône en majesté, alors que seule la tête du coq est représentée.
Relations amoureuses et conjugales
Le wax accompagne les familles dans leurs moments de joie et dans leurs moments de peine : il existe ainsi des pagnes funéraires, qui sont portés par la famille et les proches du défunt le jour des funérailles. Le choix du tissu est alors souvent lié au message qu’il véhicule. Au Ghana, certains wax portent ainsi les noms suivants : « La mort détruit les maisons », « Quel genre de vie est-ce ? », « Nous avons perdu quelque chose de grand ».
L’utilisation du wax est aussi très liée aux relations amoureuses et à ce qui se passe dans les couples : « Les femmes s’en servent pour revendiquer leur indépendance et raconter leurs histoires conjugales », peut-on lire dans l’exposition. Dans plusieurs pays africains, le motif Hibiscus est lié au mariage et « porté par les amies célibataires de la mariée, il peut signifier qu’elles sont à la recherche d’un prétendant au mariage ». Mais attention si le prétendant en question porte du wax imprimé du motif Genito, qui serait très populaire en Côte d’Ivoire et qui y désigne un « amant riche et séduisant, attiré par les jeunes femmes » !
Dans des sociétés où la polygamie masculine est légitime, le motif L’oeil de ma rivale exprime des tensions dans le couple, « évoquant ainsi la colère de la femme trompée et la souffrance au sein des foyers polygames. Le pagne énonce ce que la bouche ne peut pas dire librement et invite les parties prenantes à dialoguer ». Quant au motif montrant des cages aux portes ouvertes et des oiseaux s’envolant, intitulé Tu sors, je sors, il se passe d’explications.
Communiquer sans mots
Dans le domaine des croyances, le wax sert aussi à confectionner des objets protecteurs. « Au Mali, les marionnettistes n’hésitent pas à vêtir leurs personnages de wax, ainsi que d’autres tissus populaires, comme le bazin, avec toujours une résonance symbolique, tandis qu’au Sénégal, les peintres de souweres (peintures sous verre) exploitent et exacerbent l’effet visuel des robes et des pagnes », apprend-on au Musée de l’Homme. Deux souweres provenant du Sénégal sont d’ailleurs exposés, les artistes y ont représenté des personnages vêtus de tenues ornées de couleurs contrastées et de motifs qui les mettent en valeur.
La sphère religieuse n’a pas échappé au wax, les représentations du Christ ou de la Vierge ornant des pagnes et des coupons de fancy édités pour les fidèles chrétiens à Noël ou pour l’Assomption.
On peut aussi observer un coupon orné de photos de Jean-Paul II et des membres du clergé béninois commercialisé pour le deuxième voyage du pape au Bénin, en février 1993. « Ces dernières années sont apparus des motifs de mosquée, d’étoile et de croissant de lune en rapport avec la religion musulmane », lisons-nous.
Le wax sert aussi pour la communication politique. A l’occasion de visites officielles de dirigeants étrangers ou de campagnes électorales locales, il se fait même outil de propagande.
« Une partie de l’histoire de l’Afrique, de la colonisation aux indépendances, se lit sur des pagnes qui sont majoritairement des fancy fabriqués en masse dans des usines locales ou en Asie » : une robe en tissu vert, jaune et rouge, créée pour commémorer les 50 ans de l’indépendance de la République démocratique du Congo en 2010, illustre le propos. Plus strict, le coupon gabonais de 1976 représentant Omar Bongo et Valéry Giscard d’Estaing peut prêter à sourire. La tradition du pagne politique a beaucoup diminué dans les années 1990, les producteurs locaux se faisant plus rares en Afrique.
Tissu de paradoxes
Aujourd’hui majoritairement produit en Asie, très utilisé dans la mode et dans la décoration en Europe, le wax est un « tissu de paradoxes, qu’on ne peut pas à enfermer dans un seul sens ou résumer à un tissu importé dans un contexte colonial », a estimé Cindy Olohou lors de la conférence inaugurale de l’exposition.
Le wax est devenu, au fil des décennies et des générations, dans certains pays d’Afrique et dans les diasporas, un moyen de communiquer sans mots, d’exprimer émotions et opinions, auquel on peut donner de multiples interprétations. De nombreux artistes s’en sont d’ailleurs emparés ces 20 dernières années, illustrant eux aussi la complexité des relations avec ce tissu. Certaines de leurs œuvres sont exposées au musée de l’Homme.
Cette visibilité et cette valorisation du wax à laquelle ces artistes contribuent aujourd’hui s’inscrit dans une vaste démarche.
« Quelque chose qui a longtemps été perçu comme négatif ou dévalorisant est devenu maintenant un élément que la jeunesse se réapproprie, réinvestit pour réaffirmer avec fierté son appartenance et son lien avec ce continent et cette histoire », a souligné Cindy Olohou.
