
En 2022, j’ai eu le plaisir de trouver un lieu plutôt insolite en plein Port Mathurin : le Rodrigues Friendly Café, plaisant et accueillant, animé par un couple de Mauriciens amoureux de cette île et heureux d’en partager la culture et le patrimoine. Un bon point de départ pour apprécier cette île éloignée des circuits touristiques traditionnels.
En 2022, alors que je n’étais pas allée à Rodrigues depuis 2018, j’avais hâte de me replonger dans cette nature luxuriante et calme, sa douceur de vivre très caractéristique. Et de retrouver ses habitants spontanés, chaleureux et souvent désintéressés. Je savais que la crise sanitaire prolongée et la longue fermeture imposée par les autorités mauriciennes avait été très dure pour eux.
Au programme pour ce séjour : décrocher, s’imprégner des beaux paysages, se baigner, randonner. Savourer une cuisine délicieuse à base de produits locaux et de poissons et ourites fraîchement pêchés. Aller à la rencontre des Rodriguais et de leur mode de vie tellement inspirant (en France, on parlerait d’économie de subsistance). Et sans le formuler, me retrouver sous l’influence de cette attraction particulière qu’exerce l’île où ont vécu mes ancêtres maternels…
Découvrir Rodrigues autrement

Sur le site internet, j’avais aussi noté l’existence d’un Rodrigues Friendly Café situé dans le centre de Port-Mathurin. La tranquille « capitale » de Rodrigues était donc désormais dotée d’un café… J’étais très intriguée … L’excursion m’a permis de découvrir des lieux et d’en apprendre plus sur l’histoire de Rodrigues et les traditions de sa population, j’y reviendrai plus tard. Elle m’a aussi donné l’occasion de découvrir le Rodrigues Friendly Café, situé dans l’ancienne cure de la paroisse de Port Mathurin, à l’angle des rues François Leguat et Pr. Gandi, où nous avons déjeuné en milieu de journée.
Lieu de rencontre entre les habitants et les voyageurs
Dès l’entrée, un panneau explique que « la philosophie de ce lieu se veut dorénavant être un lieu de rencontre entre les habitants du pays et les voyageurs ». Le ton est donné, l’amateur de rencontres que je suis est au bon endroit ! Christian, notre guide et le concepteur de Rodrigues Friendly, nous a raconté que l’idée du café est arrivée après celle du tour opérateur, qu’il a créé avec sa femme Claire.
Claire est un vrai cordon bleu, elle s’occupe notamment de la cuisine et de la gestion du café. Elle concocte de savoureux plats créoles, de délicieuses crêpes salées et sucrées, des quiches, des salades et de délicieuses pâtisseries, des toffees et des croquants aux amandes à emporter. Un plat du jour est proposé quotidiennement. Le tout à des prix modérés, pour que les Rodriguais puissent aussi en profiter.
L’ancienne cure a donc été transformée en un lieu ouvert et accueillant, où visiteurs et habitués se côtoient et où l’on peut faire une pause en buvant un jus de limon frais, prendre un café ou déjeuner sous la varangue ou dans la cour au sol recouvert de sable, à l’ombre d’un parasol ou d’un arbre, installé sur des tronçons d’arbres. A un cocotier sont accrochés des panneaux indiquant la direction et les distances de villes très lointaines : Perth, Manille, Delhi, ou de lieux plus proches : Songes, 6,8 km ! Mais une fois qu’on est là, on a plutôt envie de prendre son temps et de se détendre. On peut aussi s’imprégner de l’actualité de l’île en consultant le journal Kozé Rodriguais
Carrières de corail
L’excursion que nous avons choisie, baptisée « Origine », permet notamment d’observer, dans le sud-ouest de l’île, ce qui reste des carrières de corail de Petite Butte, qui ne sont plus exploitées depuis l’interdiction de 2002. Le corail était utilisé pour la construction. Nous sommes 4 participants, un format idéal.
Notre guide nous explique qu’il s’agit en fait de champs de calcarénites.

Ce phénomène géologique, formé par le sable calcaire provenant de l’érosion marine du récif corallien, constitue la partie sud-ouest de Rodrigues et ourle une partie de la côte est. Lors d’épisodes de baisse du niveau de la mer, le vent a poussé le sable du lagon à l’intérieur des terres et a créé des sortes de dunes. Puis avec la remontée du niveau de l’océan, le vent a dégagé ces bancs calcaires qui se sont parfois creusés de cavités internes importantes, de véritables cavernes.
La transition est parfaite, nous enchaînons donc avec la visite de la Caverne Patate toute proche et cheminons entre stalactites et stalagmites pendant un kilomètre, à la seule lumière de nos lampes torches.
Caverne et stalagmite porte-bonheur

Avec notre guide rodriguaise, nous ne sommes que cinq dans la caverne silencieuse et pouvons observer à loisir les formations calcaires aux formes et couleurs variées et … quelques chauve-souris que nous dérangeons dans leur sommeil. La hauteur de certains passages atteint les 25m : sacrée hauteur sous plafond ! A la différence de la caverne de la réserve François Leguat que nous avions visitée la dernière fois, les concrétions me semblent moins spectaculaires, mais il s’agit d’un parcours où l’on ne revient pas au point de départ. La Caverne Patate n’a pas été emménagée pour les visiteurs, elle est « dans son jus ».
Nous nous dirigeons ensuite vers Port-Mathurin où nous cheminons à pied pendant que Christian évoque l’histoire et les évolutions de la ville, jusqu’à ses développements récents en nous montrant les surfaces gagnées sur la mer.
Maisons créoles de Port-Mathurin
En chemin, nous admirons quelques jolies maisons créoles avec leurs jardins ombragés : celle de feu Ben Gontran, musicien qui a été très engagé dans la conservation du patrimoine culturel de son île, puis celle abritant le Centre Carrefour, créé en 1990 par l’Église de Rodrigues, où l’on peut encore voir le bureau d’Antoinette Prudence, son ancienne directrice, infatigable travailleuse sociale qui a beaucoup contribué à l’autonomie de Rodrigues.


Nous entrons même dans l’enceinte de la fameuse Résidence, une imposante maison coloniale qui fut la demeure officielle des commissaires de l’île.

Aujourd’hui, les visiteurs peuvent s’avancer dans le jardin quand il n’y a pas de réunion de l’exécutif local, le bâtiment n’est même pas gardé. Puis nous remontons vers le bras d’eau à l’est de la ville, là où se trouve la place François Leguat. Une plaque commémorative a été apposée à l’endroit où le Français protestant avait établi le premier campement dans l’île, en 1691.
Quelques semaines plus tôt, j’avais lu dans le tome 4 de la bande-dessinée Histoire de Maurice (écrite par ma sœur Shenaz Patel et l’historien Jocelyn Chan Low, illustrée par Thierry Permal) les mésaventures de l’explorateur et des quelques hommes qui l’accompagnaient.
Panorama à Pointe Canon
Après un déjeuner convivial au café, nous repartons pour Pointe Canon, qui domine Port-Mathurin à l’ouest, et Christian nous parle un peu plus de l’histoire militaire de l’île. Pendant la 2e Guerre mondiale, l’armée anglaise choisit cet emplacement stratégique pour surveiller et éventuellement abattre les sous-marins japonais dont on disait qu’ils patrouillaient dans l’Océan Indien.
Le canon qu’on voit encore sur place et qui n’a servi que pour des exercices est le dernier à rappeler la vocation défensive de ce site historique. Une statue de la Vierge « Reine de Rodrigues » y est érigée en 1953. Le site est réaménagé en 1996 : des kiosques sont construits pour s’abriter du soleil ou de la pluie et surtout, des gradins sont aménagés sur la pente naturelle du site pour former un amphithéâtre. Le lieu est utilisé pour des rassemblements, des concerts, et le panorama qu’il offre sur le littoral et les environs en fait un point de vue unique.


La confiance règne !
En longeant la côte, Christian nous fait remarquer que la plupart des pêcheurs laissent leur moteur sur leur bateau. De nombreux motards font de même avec leur casque, qu’ils laissent négligemment sur leur moto. Ici, peu de vols sont commis. La confiance règne ! Les animaux aussi sont laissés en liberté, comme ces cabris que l’on croise et ces vaches qui paissent tranquillement en nous regardant passer, certaines profitant même du bord de mer.


Les Rodriguais sont très fiers de leur cathédrale située au centre de l’île, à Saint-Gabriel, la route a été longue pour aboutir à sa construction de 1936 à 1939 et elle a reçu la visite du Pape Jean-Paul II en octobre 1989.
L'église ne connaît pas la crise

Il paraît que c’est la plus grande cathédrale de l’océan Indien. De nombreux bénévoles ont participé à sa construction, aidant à acheminer les matériaux nécessaires, d’abord en bateau jusqu’à la côte sud-est puis à pied ou à dos d’âne jusqu’aux hauteurs de Saint-Gabriel. A Rodrigues, l’église catholique ne connaît pas la crise : les chiffres varient, mais plus de 90% de la population est catholique. Le dimanche matin, deux messes rassemblent les fidèles.
J’aime beaucoup le triptyque (réalisé par un artiste français dont je n’ai pas retenu le nom) et un tableau où l’on voit Jésus entouré de deux hommes portant des chapeaux ressemblant aux chapeaux rodriguais en vacoa.


Tout près, nous allons jeter un coup d’œil à la source Pajérôme. On prête à son eau des guérisons miraculeuses. Les abords de la source ont été aménagés, un lavoir a été construit, un robinet a été installé pour que chacun puisse remplir sa bouteille d’eau « miraculeuse ».
Case palissade
Nous visitons ensuite une maison dont la structure reflète celle de l’habitat traditionnel : c’est une « case palissade » revisitée avec des matériaux plus résistants, dotée d’une pièce centrale où se déroule la vie familiale. A l’extérieur, on est comme aspiré par la vue sur l’immense lagon turquoise du sud, avec à l’extrémité les toits rouges caractéristiques de l’hôtel Mourouk Ebony.

Notre excursion se termine sur le toit de Rodrigues, au Mont Limon qui nous offre une vue panoramique à 240° sur l’île. Un point de vue idéal pour admirer sa nature intacte. Les Rodriguais vivent en accord avec cette nature qui n’est pas forcément tendre avec eux : les cyclones et la sécheresse ne les épargnent pas. Malgré ces épreuves, ils ont toujours su préserver leur environnement et en rester proche, conservant à leur île tout son charme et y cultivant la douceur de vivre. La devise qu’ils ont choisie en dit long sur leur état d’esprit : Travail – Solidarité – Fierté. Elle figure sur leur armoiries depuis que l’île a acquis son autonomie au sein de la République mauricienne, en 2002.
J’ai lu récemment, dévoré, même, malgré les nombreuses pages consacrées à l’évolution du droit international et à ses instances, le livre de l’avocat franco-britannique Philippe Sands, La dernière colonie **. L’auteur y relate le long combat des Chagossiens et de Maurice pour faire valoir les droits des anciens habitants brutalement déportés et dépossédés de leur archipel par les Britanniques dans les années 70. Ce combat est loin d’être terminé.
Vers la fin de l’ouvrage, l’auteur relate un entretien avec des Chagossiens, il leur demande comment ils souhaiteraient vivre s’ils peuvent un jour retourner sur leurs îles. Certains lui répondent qu’ils aimeraient une certaine autonomie, comme Rodrigues, « afin de pouvoir décider pour nous-mêmes ce qu’il adviendra de notre territoire, de notre environnement et de notre culture ». J’espère que cette autonomie permettra aux Rodriguais de continuer à privilégier le développement raisonné et respectueux de leur environnement et du mode de vie qu’ils ont choisi jusqu’ici.
Si vous voulez vous aussi, lors d’un séjour à Rodrigues, en savoir plus sur cette île magnifique, son histoire, sa culture, ses habitants, son patrimoine, n’hésitez pas, prenez la direction du Rodrigues Friendly Café.
Voyager par et avec la littérature permet de découvrir des destinations inédites et étonnantes. Merci de ce guide amical qui nous entraine avec simplicité à la rencontre de l’Autre et des autres dans un voyage sans cesse renouvelé !
Merci pour ce commentaire.
La rencontre avec l’autre et avec des lieux inspirants est un voyage qui en vaut généralement la peine.